lundi 4 avril 2016

Migrants, excision... Quand Inna Modja réagit sur l'actualité


La chanteuse-mannequin n'est pas du genre langue de bois. Nous l’avons rencontré en toute simplicité autour d’un jus d’orange et d’une corbeille de mandarines.


La ravissante et souriante Inna Modja dans sa loge du Chato'Do le 12 mars. Sans langue de bois ... à Blois (41) !
© Émilie RENCIEN


Bonjour Inna Modja, votre style a beaucoup évolué. Avec votre nouvel et dernier album, « Motel Bamako », vous revenez aux sources et on est bien loin de la pop-soul colorée de vos débuts…
«Je suis née et j’ai grandi au Mali, je faisais de la musique malienne, j’avais envie de retourner à ça, je n’avais pas envie de refaire la même chose. Mon premier album, assez folk et acoustique,  a eu un gros succès d’estime du public  et des médias mais qui n’était pas prévu, je ne m’y attendais pas. Vous savez, je suis auteur compositeur et j’essaie d’être vraiment intègre à ce que j’ai envie de donner dans ma musique. Sinon, on trouve une recette et on la fait à l’infini, ça n’a pas vraiment d’intérêt pour moi. Rien n’est sûr dans cette vie d’artiste. Aujourd’hui, on vend moins d’albums parce qu’il y a du streaming, etc., ça a évolué. Alors, autant en tirer du vrai plaisir.»

Vous devenez donc en 2016 une chanteuse engagée ?
«Je l’ai toujours été ! Ça m’amuse en fait, je connais mon travail mais beaucoup de gens pensent que « French Cancan » résume tout ce que je fais. C’est toujours ce qui arrive quand on a une chanson qui connaît beaucoup de succès, ça met de l’ombre sur tout le reste. Or, j’ai toujours été engagée dans ma musique ; dans le premier album, je parlais d’une amie qui a perdu son mari et deux de ses trois petites-filles dans le tremblement d’Haïti, j’évoquais de femmes très engagées et battantes. Mais j’ai accepté qu’on n’entendrait que « Coco Choco Chanel » ! Aussi, avec le deuxième album,  il y a un facteur différent aujourd’hui, il y a la guerre chez moi. J’habite la moitié du temps au Mali, ma famille vit là-bas. Alors, forcément, tu deviens encore plus engagée et frontale dans ta musique car ce sont des situations assez dures à vivre, je ne peux plus faire des textes qui sont à double lecture, il faut te positionner plus car ça une incidence sur ma vie, celle de mes proches, celles de mes compatriotes. Et c’est important de l’affirmer.»

Le sort des migrants bloqués à Calais vous interpelle par conséquent aussi j’imagine ?
«Ce n’est pas que le Mali qui me concerne en fait.  J’ai écrit la chanson «Boat people » il y a deux ans et demi quand le bateau a chaviré à Lampedusa et que 500 personnes sont mortes. Nous, en Afrique, on a l’habitude de voir les gens partir sur des embarcadères de fortune et essayer de faire la traversée pour tenter d’entrer en Europe.  On est conscient du drame que c’est ; c’est un manque d’espoir dans tous les pays où les gens partent comme ça en mettant leur vie en danger et en même temps, pour sauver leur peau. Encore une fois, j’ai écrit cette chanson il y a deux ans et demi, je ne m’attendais pas à ce qu’aujourd’hui, ce soit vraiment pire ! Ça fait un moment que les gens souhaitent aller depuis le Nord de la France rejoindre l’Angleterre. C’est un problème mondial, avec un vrai effet papillon : on a l’impression que si on ne regarde pas, le problème va passer. La Syrie, les migrants, etc. Nous sommes tous responsables de ce qui se passe dans le monde ; tôt ou tard, on est confronté aux situations tragiques des autres.»

L’excision est également un problème mondial. Vous avez subi vous-même cette mutilation. L’Organisation des Nations-Unies, aux côtés de laquelle vous travaillez sur le sujet, espère éradiquer ce fléau d’ici à 2030, n’est-ce pas utopique ?
«C’est possible si tous les Gouvernements s’engagent à investir dans la prévention. Il faut éduquer les gens, aller sur le terrain, donner des cours d’éducation sexuelle et faire évoluer les mentalités. Quand tu montres les effets néfastes et les conséquences négatives de l’excision sur l’esprit et le corps des femmes comme l’incontinence et la fertilité, les gens n’ont plus envie de le faire.  Je l’ai vécu : si on t’enlève le symbole de la féminité, tu deviens quoi ? C’est vu tel un rite de passage, la femme est comme mise dans une boîte, dans un cadre et elle n’est censée n’être qu’une mère. C’est compliqué, tu es perdue ensuite, tu as l’impression que tu n’es pas à la hauteur. Au Moyen-Age, on pensait que ça permettait de rendre les femmes moins hystériques … Ça se pratique en Afrique, également en Europe et aux États-Unis. Il y a beaucoup de travail, tout le monde doit s’y mettre, sinon ça peut durer ad vitam aeternam. Ce n’est pas une question de religion, c’est de l’ignorance. Moi, j’y crois, il n’y a pas de raison si on explique, j’ai confiance dans l’intelligence humaine.»

Entretien réalisé par Émilie RENCIEN

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